La hausse des prix du pétrole déclenchera-t-elle une récession aux États-Unis ?

Edouard d’Espalungue

Il y a toujours eu des hauts et des bas pour les prix du pétrole brut. Les prix du pétrole resteront stables pendant jusqu’à fin 2022, mais diminueront légèrement en 2023, selon un groupe d’experts de CNBC qui voit le cours du brut varier fortement avant la fin de l’année 2022.

Les prix mondiaux du pétrole ont augmenté à plus de 120 dollars le baril après le déclenchement de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, mais ont également diminué à moins de 100 dollars le baril au cours des dernières semaines. Les prix du pétrole se négocient actuellement à 95 $ le baril pour le Brent Crude et à moins de 89 $ chacun pour le West Texas Intermediate américain.

1. L’évolution des prix du pétrole sur l’année 2022

En novembre, le prix du pétrole brut Brent s’élevait à 93,14 dollars US le baril contre 85,87 dollars US pour le pétrole WTI. Dans le même temps, il était de 94,42 pour le panier de l’OPEP. Le pétrole brut “Brent” d’Europe, le panier de l’OPEP et le pétrole brut américain WTI sont les trois références importantes que les négociants utilisent pour les prix du pétrole.

En mars 2022, les prix du pétrole ont augmenté, tels qu’on ne l’avait pas vu depuis 2008 en raison de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. La baisse constatée depuis le mois d’août montre l’incertitude des marchés face à un risque de récession mondiale imminent.

2. Des prix du pétrole au plus bas

En 2020, la pandémie de coronavirus a affecté les prix du pétrole brut, qui ont connu une énorme chute alors que la demande de pétrole a considérablement diminué après les fermetures de nombreuses entreprises et les restrictions relatives au voyage. Au départ, les perspectives et les incertitudes entourant le cours de cette pandémie ont amené début mars à un désaccord entre deux des plus grands producteurs de pétrole, l’Arabie saoudite et la Russie .

Oil prices. Source: GIS

3. Comment ont-ils évolué entre janvier et octobre 2022 ?

Les pourparlers bilatéraux entre les producteurs mondiaux de pétrole ont abouti à un accord le 13 avril 2022, avec des promesses de couper la production de pétrole et l’espoir que tout cela puisse aider à stabiliser les prix du pétrole la semaine prochaine. Mais avec les installations de stockage et les pétroliers qui se remplissent rapidement, les craintes ont grandi quant à l’endroit où l’on peut stocker l’excédent de pétrole, ce qui a conduit les prix de référence à enregistrer des prix négatifs records entre le 20 avril et le 22 avril 2020.

L’extraction de pétrole et de gaz de schiste a réduit la quantité de pétrole que les États-Unis doivent importer et contribue également à l’économie globale par le biais d’investissements, d’emplois et de croissance. La production et l’exploration pétrolières sont des industries importantes aux États-Unis.

Gaz de schiste

L’exploration et la production des gisements de schiste bitumineux aux États -Unis ont toujours été une source importante de nombreuses opportunités d’emploi. Il existe des puits fracturés hydrauliquement avec une durée de vie plus courte ; par conséquent, il y a toujours de nouvelles activités de forage pour découvrir les prochains gisements. Toute cette activité nécessite de la main-d’œuvre, une équipe de forage, des chauffeurs de camion, des opérateurs de charge, des mécaniciens diesel, etc. Les employés travaillant dans ces zones soutiennent les entreprises environnantes, telles que les restaurants, les hôtels et les concessionnaires automobiles.

Un prix du pétrole en baisse équivaut à moins d’activités de forage et d’exploration, car la plupart des nouveaux forages à l’origine de cette activité économique sont non-conventionnels et ont un coût par baril plus élevé que les sources de pétrole conventionnelles. Moins d’activité, dans ce cas, peut nuire aux entreprises locales qui s’adressent aux travailleurs. Par conséquent, un impact négatif se fera sûrement sentir dans ces régions de schiste, l’interlligence artificielle ne procurant pas encore des machines pour remplacer les mineurs compétents.Quelques-uns des impacts positifs de la baisse des prix commencent à se manifester néanmoins dans d’autres régions des États-Unis.

4. Les estimations du prix du pétrole par les experts

L’Arabie saoudite a affirmé la semaine dernière que l’OPEP était prête à réduire la production de pétrole à tout moment. Cette annonce est intervenue alors que l’Europe perturbait ces approvisionnements énergétiques en provenance de Russie.

Cependant, un analyste financier, Tamas Varga, a déclaré que les facteurs haussiers l’emporteraient sur les facteurs baissiers à court terme. JP Morgan a maintenu également une modeste estimation de 101 dollars le baril pour le reste de l’année, alors que le prix du baril fluctue actuellement autour de 85 dollars. Le prix dur les marchés contredit ses estimations d’une moyenne de 101 dollars par baril au second semestre 2022. Il a également prévu que ce prix par baril pourrait être de 98 dollars en 2023.

Bien que les experts ne croient pas qu’il existe un risque de récession lié au prix du pétrole, ce risque continue de croître. Les prix du pétrole chutent de 30 à 40 % en période de récession, sur lequel un rapport selon lequel l’estimation a été légèrement inférieure pour 2023.

Un trader commodities

En termes de prévisions actuelles et à moins qu’un événement imprévu majeur ne se produise, on s’attend toujours à ce que le brut Brent puisse remonter et atteindre en moyenne 108 $ en fin d’année. La référence West Texas Intermediate pour le brut américain est une matière première très activement négociée. Les prix du pétrole brut indiqués dans Trading Economics sont basés sur l’OTC, référence pour différents instruments financiers dérivés. Les prix de marché sont cependant uniquement destinés à donner aux gens une référence au lieu d’une base pour faire des choix d’investissements. L’accès aux données de trading est donc primordiale et la façon dont les banques marketent sur le web leurs produits financiers issues du pétrole aux investisseurs sera cruciale. Trading Economics ne vérifie d’ailleurs pas les données et décline toute obligation à le faire.

Le strict respect par la Chine de la politique zéro COVID a continué d’alimenter toutes les incertitudes concernant la croissance économique du pays. Les prix du pétrole sont également mis sous pression par les rapports selon lesquels ce gouvernement continuerait à libérer des réserves de pétrole brut. Certains gouvernements pourraient voie leur économie se dégrader rapidement en fonction de l’evolution des cours du pétrole et des réformes seraient alors nécéssaires. D’où l’appel de nombreux politiques à passer à une économie verte plus rapidement.

L’administration Biden prévoit de vendre le pétrole issu des réserves stratégiques pour faire descendre les prix du carburant à la pompe. Ce qui lui a permis d’éviter de nombreuses critiques quant à sa gestion de l’économie du pays avant les élections de mi-mandats. En outre, les stocks de pétrole brut américains ont continué à augmenter au cours de la deuxième semaine de novembre selon un sondage préliminaire de Reuters.

Texas oil field

La production de pétrole au Texas et du Nouveau-Mexique (le plus grand bassin de pétrole de schiste) devrait également atteindre plus de 50 000 barils par jour. Les investisseurs ont pris des positions longues en bourseaprès que l’OPEP+ ait convenu de réduire sa production de 2 millions de barils par jour dans un avenir proche

Edouard d’Espalungue

Edouard d’Espalungue analyse chaque semaine sur Mediapart la politique économique et pénale américaine et fournit aux lecteurs et lectrices francophones des clés de lecture pour décrypter les causes et conséquences des décisions majeures prises par les juges, hommes politiques, chefs d’entreprise et fonctionnaires américains.

Edouard d’Espalungue. Financial analyst, author & journalist

Inflation des prix aux Etats-Unis: que doit faire la FED ?

Alors que l’inflation reste à un niveau élevé en octobre 2022 aux Etats-Unis, plusieurs économistes n’hésitent pas à critiquer la banque centrale américaine (Federal Reserve, FED), très ouvertement…

Le Pr. Siegel de la Wharton Business School ou encore Mohamed A. El-Erian, ancien conseiller économique chez Allianz et ex-PDG du géant obligataire californien PIMCO n’ont pas de mots assez durs pour qualifier la politique monétaire menée par Jerome Powell, l’actuel président de la FED. Dans un tweet résumant l’intervention télévisé de Mohamed A. El-Erian sur CNBC et retweeté par ce dernier, un auditeur écrivait:

« La Fed américaine a commis 2 erreurs fondamentales :

1. Appeler l’inflation « transitoire ».

2. Ne pas agir assez vite lorsqu’ils ont réalisé que l’inflation n’était pas transitoire.

Maintenant, nous risquons une troisième erreur: la hausse des taux d’intérêt trop rapide

Une erreur de jugement de la Fed provoquera une récession. »

Une analyse incorrecte de la politique monétaire

Tout d’abord, si la Réserve fédérale avait amorcé bien plus tôt dès 2021 une remontée du taux directeur, le PIB des États-Unis n’aurait pas augmenté de 5,7 % en 2021. La véritable préoccupation ne devrait pas concerner l’inflation, mais l’évolution du taux de l’inflation d’une année sur l’autre.

En 2021, une inflation modérée et une forte croissance ont été permises par l’action pro-emploi de la FED, qui avait décidé de ne pas relever son taux directeur (federal funds rate).

Pour rappel,  le taux directeur est le taux d’intérêt via lequel les institutions de dépôt (banques et coopératives de crédit) prêtent leurs réserves en cash à d’autres institutions de dépôt du jour au lendemain sans garantie. Ces réserves en cash ou cash-assimilés (financial instruments) sont des montants détenus à la Réserve fédérale pour maintenir les réserves obligatoires des banques.

Les institutions ayant des soldes excédentaires dans leurs comptes prêtent ces soldes aux institutions qui ont besoin de réserves plus importantes. Le taux directeur est par ailleurs une référence importante sur les marchés financiers car les obligations d’Etat ont un rendement indexé sur celui-ci. Or les obligations d’Etat sont le principal moyen (en plus de l’impôt) pour les gouvernements de financer leur budget et donc la croissance. Le bon calibrage du taux d’intérêt directeur est donc essentiel pour maintenir une économie en bonne santé.

Plus le taux augmente, plus l’obligation d’Etat perd de sa valeur. En effet, les acheteurs potentiels voient le prix des obligations émises précédemment baisser puisque les nouvelles obligations offriront un rendemnt plus élevé avec la remontée du taux directeur. Certains acheteurs peuvent même attendre en espérant que les futures obligations émises auront un rendement et un coupon bien plus importants. D’où un effet de cash-trap pour les gouvernements si le taux remonte trop rapidement, et la nécessaire intervention du Trésor Public pour le rachat d’obligations non désirées en direct sur les marchés.

Une autre conséquences négative d’une remontée trop rapide des taux est l’effet de credit-crunch: les banques décident de ne plus financer les investissements les plus risqués (logements, etc) ou, autrement dit, de prêter de l’argent aux emprunteurs (particuliers et entreprises) ayant une note de crédit faible ou moyenne. Or, sans financements, ce sont autant les particuliers que les entreprises qui décideront de remettre à plus tard leurs investissements, pourtant porteuses d’emplois. Ainsi, un taux directeur actuel à 3.25, soit 13x le taux directeur d’il y a un an (0.25) pourrait déstabiliser les marchés et les investissement avec, à la clé, un risque de récession et de chômage.

Ce taux directeur est fixé par le président de l’institution et son comité, composé actuellement, en octobre 2022, de Jerome H. Powell, John C. Williams, Michael S. Barr, Michelle W. Bowman, Lael Brainard, James Bullard, Susan M. Collins, Lisa D. Cook, Esther L. George, Philip N. Jefferson, Loretta J. Mester, et Christopher J. Waller.

La FED doit éviter l’erreur commise par Alan Greenspan en 2008: une remontée brutale du taux d’intérêt directeur

La croissance du taux de l’emploi doit être pour la Réserve fédérale leur principale préoccupation et déterminer la façon dont ils ajustent le taux directeur. Dans un second temps seulement, il faut se préoccuper de l’évolution de l’inflation. Pas dans l’ordre l’inverse. De plus, l’inflation est toujours cyclique grâce à l’existence de la réserve fédérale, et il faut également examiner les composantes des données sur l’inflation. Les prix des denrées alimentaires et de l’essence n’ont pas augmenté de manière exagérée comme le souligne le journal Voice of America dans son édition du 13 septembre 2022.

La seule erreur que la Réserve fédérale est en train de commettre est d’augmenter trop rapidement le taux directeur en 2022. Sur ce point, Mohamed A. El-Erian a raison, une remontée trop rapide du  Federal funds rate est une vraie erreur. Ils imiteraient et feraient la même faute que l’ancien directeur de la Réserve fédérale, Alan Greenspan en 2008. La FED doit augmenter son taux directeur à un rythme beaucoup plus lent, sinon le taux de chômage va considérablement augmenter en 2022-2023 et le taux de croissance devenir négatif.

Edouard d’Espalungue

Edouard d’Espalungue analyse chaque semaine sur Mediapart la politique économique et pénale américaine et fournit aux lecteurs et lectrices francophones des clés de lecture pour décrypter les causes et conséquences des décisions majeures prises par les juges, hommes politiques, chefs d’entreprise et fonctionnaires américains.

Edouard d’Espalungue. Analyste.