Alors que l’inflation reste à un niveau élevé en octobre 2022 aux Etats-Unis, plusieurs économistes n’hésitent pas à critiquer la banque centrale américaine (Federal Reserve, FED), très ouvertement…
Le Pr. Siegel de la Wharton Business School ou encore Mohamed A. El-Erian, ancien conseiller économique chez Allianz et ex-PDG du géant obligataire californien PIMCO n’ont pas de mots assez durs pour qualifier la politique monétaire menée par Jerome Powell, l’actuel président de la FED. Dans un tweet résumant l’intervention télévisé de Mohamed A. El-Erian sur CNBC et retweeté par ce dernier, un auditeur écrivait:
« La Fed américaine a commis 2 erreurs fondamentales :
1. Appeler l’inflation « transitoire ».
2. Ne pas agir assez vite lorsqu’ils ont réalisé que l’inflation n’était pas transitoire.
Maintenant, nous risquons une troisième erreur: la hausse des taux d’intérêt trop rapide
Une erreur de jugement de la Fed provoquera une récession. »

Une analyse incorrecte de la politique monétaire
Tout d’abord, si la Réserve fédérale avait amorcé bien plus tôt dès 2021 une remontée du taux directeur, le PIB des États-Unis n’aurait pas augmenté de 5,7 % en 2021. La véritable préoccupation ne devrait pas concerner l’inflation, mais l’évolution du taux de l’inflation d’une année sur l’autre.

En 2021, une inflation modérée et une forte croissance ont été permises par l’action pro-emploi de la FED, qui avait décidé de ne pas relever son taux directeur (federal funds rate).
Pour rappel, le taux directeur est le taux d’intérêt via lequel les institutions de dépôt (banques et coopératives de crédit) prêtent leurs réserves en cash à d’autres institutions de dépôt du jour au lendemain sans garantie. Ces réserves en cash ou cash-assimilés (financial instruments) sont des montants détenus à la Réserve fédérale pour maintenir les réserves obligatoires des banques.
Les institutions ayant des soldes excédentaires dans leurs comptes prêtent ces soldes aux institutions qui ont besoin de réserves plus importantes. Le taux directeur est par ailleurs une référence importante sur les marchés financiers car les obligations d’Etat ont un rendement indexé sur celui-ci. Or les obligations d’Etat sont le principal moyen (en plus de l’impôt) pour les gouvernements de financer leur budget et donc la croissance. Le bon calibrage du taux d’intérêt directeur est donc essentiel pour maintenir une économie en bonne santé.
Plus le taux augmente, plus l’obligation d’Etat perd de sa valeur. En effet, les acheteurs potentiels voient le prix des obligations émises précédemment baisser puisque les nouvelles obligations offriront un rendemnt plus élevé avec la remontée du taux directeur. Certains acheteurs peuvent même attendre en espérant que les futures obligations émises auront un rendement et un coupon bien plus importants. D’où un effet de cash-trap pour les gouvernements si le taux remonte trop rapidement, et la nécessaire intervention du Trésor Public pour le rachat d’obligations non désirées en direct sur les marchés.
Une autre conséquences négative d’une remontée trop rapide des taux est l’effet de credit-crunch: les banques décident de ne plus financer les investissements les plus risqués (logements, etc) ou, autrement dit, de prêter de l’argent aux emprunteurs (particuliers et entreprises) ayant une note de crédit faible ou moyenne. Or, sans financements, ce sont autant les particuliers que les entreprises qui décideront de remettre à plus tard leurs investissements, pourtant porteuses d’emplois. Ainsi, un taux directeur actuel à 3.25, soit 13x le taux directeur d’il y a un an (0.25) pourrait déstabiliser les marchés et les investissement avec, à la clé, un risque de récession et de chômage.
Ce taux directeur est fixé par le président de l’institution et son comité, composé actuellement, en octobre 2022, de Jerome H. Powell, John C. Williams, Michael S. Barr, Michelle W. Bowman, Lael Brainard, James Bullard, Susan M. Collins, Lisa D. Cook, Esther L. George, Philip N. Jefferson, Loretta J. Mester, et Christopher J. Waller.
La FED doit éviter l’erreur commise par Alan Greenspan en 2008: une remontée brutale du taux d’intérêt directeur
La croissance du taux de l’emploi doit être pour la Réserve fédérale leur principale préoccupation et déterminer la façon dont ils ajustent le taux directeur. Dans un second temps seulement, il faut se préoccuper de l’évolution de l’inflation. Pas dans l’ordre l’inverse. De plus, l’inflation est toujours cyclique grâce à l’existence de la réserve fédérale, et il faut également examiner les composantes des données sur l’inflation. Les prix des denrées alimentaires et de l’essence n’ont pas augmenté de manière exagérée comme le souligne le journal Voice of America dans son édition du 13 septembre 2022.

La seule erreur que la Réserve fédérale est en train de commettre est d’augmenter trop rapidement le taux directeur en 2022. Sur ce point, Mohamed A. El-Erian a raison, une remontée trop rapide du Federal funds rate est une vraie erreur. Ils imiteraient et feraient la même faute que l’ancien directeur de la Réserve fédérale, Alan Greenspan en 2008. La FED doit augmenter son taux directeur à un rythme beaucoup plus lent, sinon le taux de chômage va considérablement augmenter en 2022-2023 et le taux de croissance devenir négatif.


Edouard d’Espalungue analyse chaque semaine sur Mediapart la politique économique et pénale américaine et fournit aux lecteurs et lectrices francophones des clés de lecture pour décrypter les causes et conséquences des décisions majeures prises par les juges, hommes politiques, chefs d’entreprise et fonctionnaires américains.

Edouard d’Espalungue. Analyste.